Y’a quelqu’un
Claudine Galea
écrivaine
Octobre 2020
Les choses comme elles sont
éditions Verticales, 2019
Noircisse
Grand Prix de littérature dramatique jeunesse
éditions Espaces 34, 2019
J’ai découvert le travail de Françoise Miquelis par une visite dans son atelier à la fin du confinement en juin 2020.
Cette période de retirement, à la fois propice à la création et l’enfermant dans une bulle non consentie, avait été alimentée par plusieurs journaux de confinement dont la nécessité ressemblait plutôt à un vouloir laisser trace et me rendait sceptique.
En entrant dans l’atelier de Françoise, j’ai été saisie par l’exactitude de ces pièces marquant un moment de vie particulier et l’excédant.
L’exactitude, ce qui retient aussitôt notre attention et notre souffle, ce qui est à la fois le produit du travail et le dépassement de son vouloir, se polarisaient dans la pièce intitulée Y a quelqu’un.
Lampe-corps, féminin-masculin, cette servante allumée dans la nuit du virus vient de très loin et va plus loin que l’occurrence qui l’a fait naître. Invitant à l’immobilité et au repos, dialoguant avec la nuit et les ombres, elle fait lien sans attache. Dans le halo de sa chevelure, Y a quelqu’un nous invite, nous accueille. C’est la pièce vers laquelle toutes les autres convergent, sa qualité de présence magnétise le partage entre celle qui l’a créée et celles et ceux qui entrent et reçoivent.
Oui, il y a quelqu’un. Oui le monde est habité. L’art a cette faculté d’investir l’univers d’une énergie — positive ou négative. Ici, elle est vitale et douce.
Les matériaux utilisés par Françoise Miquelis contribuent à cette qualité, fil, pigments, matière végétale. Mais, on le verra, ce « naturel » n’est pas totalitaire.
On retrouve cette même conception dans Breathe dont le titre dit bien la nécessité de désenclaver, convoquant à la fois le soin apporté aux patients du Covid-19 atteints aux poumons, et la fonction de l’art qui articule dedans et dehors, notion reprise par le titre général de cette série « S’ouvrir : pièces de confinement ».
Si nous sommes surpris par le paradoxe de l’expression, c’est vers le signe « : » que notre être se penche. C’est quelque chose que j’ai physiquement éprouvé à la fois pendant la visite et en lisant la phrase, phrase autrement déployée par l’inventaire géologique de la pièce « Nos mots ».
S’appuyant sur le verbe « s’ouvrir », les deux points (two points en anglais, doppelpunkt en allemand) passent le seuil d’une maison, la maison que l’art crée, cette « chambre à soi » de Virginia Woolf qui ne cesse de s’agrandir depuis qu’elle l’a nommée, ouvrant sur des territoires plus vastes.
Les pièces de Françoise Miquelis parlent au corps, au vivant. Ce sentiment s’est sans doute renforcé pendant cette période de confinement, devenue forme mutante de nos vies depuis bientôt un an et pour combien de temps encore — la mutation n’est-elle pas notre condition ? —, mais il est déjà à l’œuvre dans ses pièces précédentes. Les autres séries présentées ici, Nouvelles orientales, Féminin, Bestiaire, Questions humaines raccordent toutes notre inquiétude d’espèce, qui prend soudain conscience de la menace de son extinction, aux éléments qui traversent le temps, repris et modifiés par la main humaine.
Têtes-totems constituées de papiers écrits de « Us and Them », grès émaillé pour figurer un « Paysage sous-marin », marteaux, plastique, textiles, médium, acrylique pour Petite Boschienne, cheveux et acier, terre cuite pour Panégyotis, le solide et l’éphémère construisent un dialogue. Aurions-nous tendance et l’oublier ou à ne pas en tenir compte ?
Enfin, il y a des titres très émouvants, « Le lait de la Mort », « L’âme est le seul oiseau qui soutienne sa cage ». Il me semble qu’ils ne sont pas pensés, ni même voulus, qu’ils arrivent, et c’est aussi ce que je ressens à la vision de ces sculptures : leur vulnérabilité lumineuse nous atteint. Les plâtres et les silicones de « Quand ils ne seront plus là », formes denses et compactes laissent toujours passer cette lumière, s’en font le réceptacle. Quant au rouge soudain de Petite Boschienne, il ricoche sur la collerette blanche, rebondit sur l’habit noir, et c’est de ce noir brillant, que surgit, encore, une averse de lumière.